Cher Thomas,
Je constate que mon cours fait mouche. Certains ont témoigné de leur incompréhension devant une matière parfois abstraite et théorique, nous voyons, grâce à vos questions, les bénéfices de ces indications théoriques : elles mettent votre pensée en mouvement, c'est le sens de la démarche clinique que je soutiens et soutiendrai à l'avenir. En outre, elles vous font vous souvenir de cas singuliers et vous tentez de les comprendre avec la théorie : quoi de plus clinique?
L’année passée, j’ai fait un stage dans un centre pénitencier. Dans le cadre de ce stage j’ai rencontré un homme qui avait assassiné sa femme à plusieurs coups de couteau. La cause de ce meurtre était, selon le détenu, la jalousie. Depuis que la personne avait commis cet acte, elle était en dépression profonde. Elle m’a dit : « Je ne pense plus qu’à cet acte, je n’aurais jamais du le faire, je vois ma femme devant moi tous les soirs, on devrait me condamner à vie ou même me tuer, … ».
Il m’a aussi dit qu’au moment où sa femme lui avait dit qu’elle l’aurait trompé, qu’il se sentait comme « court-circuité ».
Selon De Greeff, le processus de criminogenèse exclut les homicides qui surviennent brusquement. Selon le détenu que je viens de décrire cet homicide est survenu brusquement, donc serait exclu du processus de criminogenèse.
Effectivement, selon De Greeff, on pourrait exclure ce crime car celui-ci peut à la fois renvoyer à un acte brusque mais aussi au crime passionnel (voyez son ouvrage Amour et crimes d'amour). Cela étant, il faut être prudent car De Greeff excluait certains homicides après avoir écouté les personnes en parler pendant longtemps, il est alors possible que l'acte apparaisse dans une logique moins spontanée et brutale, c'est du moins une hypothèse plausible. A première vue, je dirais que c'est un homicide par jalousie, à référer aux homicides passionnels. Mais rien n'empêche de découvrir la génèse de ce crime non au sens de De Greeff mais avec d'autres concepts que nous verrons dans le cadre du prochain cours Psychopathologie et délinquance où nous tenterons de comprendre pourquoi Ginette a tué son compagnon qu'elle aimait par dessus tout.
Nous verrons aussi, comme votre cas en témoigne magistralement, que le passage à l'acte traduit une tension dans le chef même de ce monsieur : il a fait ce qu'il n'aurait pas du faire. Nous verrons dans le prochain cours comment interpréter cette phrase forte. DE même que l'on verra comment comprendre le court-circuitage de la pensée par l'acte : j'agis parce que comme ça j'évite de penser et d'avoir à penser. Autrement dit, agir c'est ne pas penser (c'est une des logiques de la psychopathie). Je vous donnerai également d'autres concepts, d'autres clés et grilles de lecture qui vous permettrons de produire des interprétations plus justes du cas car la théorie de De Greeff s'applique ici moins bien je pense.
Je me souviens d’avoir lu, que si quelqu’un s’intentionalise soi-même pour un acte, tel l’accident de voiture suite à un problème de freins, c’est parce que la personne a déjà pensé avant, à tuer son co-pilote, et c’est pour cela qu’il n’arrive pas à se désintentionnaliser ou prendre du recul et reste donc dans une dépression. Il faut faire attention à ce type d'explication. Cela dit, dans le cas de la mélancolie (maladie mentale), lorsqu'une personne s'accuse et se rend responsable du décès de quelqu'un, il est possible que l'amour extrême pour la personne aimée cache en fait une haine non dite pour cette dernière. La difficulté, voire l'impossibilité à en faire le deuil témoignerait alors d'une haine à son égard qui apparaît dans l'auto-accusation. Cet exemple sort du cours proprement dit.
Si les concepts vous donnent le vertige, arrêtez-vous un instant et prenez du temps pour agir et moins penser.
Merci pour votre intérêt et cette mise en mouvement.
Bien à vous,
C.A.